Sophie DesestoilesAgrégée de lettres, poète, essayiste ; ses recherches portent sur l’histoire d’écrivains tels Rimbaud, Balzac, Gonzague Saint Bris, Platon, ou encore sur les peintres comme Léonard de Vinci, ou sur le sens spirituel des contes de fées.

Chants de rappel, poésie, Nouvelle Pléiade, 2002
Arthur ou la métempsycose, poésie, Nouvelle Pléiade, 2005
Et si Platon avait raison, essai, Aigle Botté éditions, 2015
Joie du Soleil, poésie, Aigle Botté éditions, 2015
Rimbaud retrouvé, Aigle Botté éditions, avril 2016
Vivant, essai, Aigle Botté éditions, juillet 2016
Blanche heure des lys, poésie, Aigle Botté éditions mars 2017
Barbe bleue et Boucle d’or, essai, Aigle Botté éditions, 2018
Dans les eaux vives de l’Auvergne, poésie, Aigle Botté éditions, 2020
Balzac Gonzague, essai, Aigle Botté éditions, 2021


Mon expérience


«  J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
                                    Que des soleils marins teignaient de mille feux ».
                                                                                                                                           Baudelaire


Mémoire superficielle et mémoire profonde

    Pendant longtemps je voyais sans voir, je ressentais sans savoir, je cherchais sans définition préalable quelque chose, quelqu’un, qui fût non une réponse ferme et fermée mais au  moins un tremplin.

    Dans cet état de perceptions, je me trouvais alors dans ce plan de la conscience ordinaire, enfin pas tant que cela car, depuis l’enfance, ma réflexion intérieure et certaines expériences psychiques dont je ne parlerai pas ici pour ne pas disperser ma pensée ni la vôtre, ne me permettaient pas de m’en tenir au masque têtu pour les uns, ténu pour quelques autres, des apparences. Disons que je vivais comme vous dans la mémoire consciente superficielle, celle qui s’appuie sur des souvenirs conscients accumulés depuis la naissance, depuis ce qu’on nous dit être, dans nos civilisations, le début de nos existences, voire avec les progrès de la psychologie moderne , en reconnaissant une conscience et des perceptions prénatales.

    Pourtant, déjà, au delà de cet espace temporel délimité par cette croyance ambiante, à travers le contrôle raisonnable de l’esprit sur ce qu’il croit être « moi », des sensations fugitives, des sentiments sous-jacents, mais dénués de sens explicable, me traversaient parfois.

    Les lieux, certes, agissent sur notre mémoire profonde : certains lieux m’attiraient , me laissaient rêveuse, songeuse d’une songerie qui ignore son objet. A rebours, telle ville me faisait frissonner tout en exerçant sur moi une attraction inquiète : une nuit, j’y fis un rêve extraordinaire.

    A présent, je comprends que de ces lieux capables de faire vaciller la stabilité de notre conscience immédiate, celle qui se rattache à la vie actuelle, il en est de deux sortes :

ceux qui portent en eux la trace assez intacte du passé, ou sa force même par delà les altérations des époques successives ,ceux où nous vécûmes intensément et qui ébranlent en profondeur notre psyché, sans pour autant que le voile d’oubli ne se soulève. Ainsi, dans cette période d’immense quête, où m’étant libérée des entraves qui longtemps m’avaient retenue, j’avançais écoutant mon cœur, c’est à dire l’intelligence supérieure, « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux », je me rendais quelquefois à Royaumont ; dans ce domaine harmonieux et serein, de pierres douces encloses par des arbres majestueux, je me sentais étrangement bien, dans un lieu familier où je me plaisais à m’attarder. J’aurais voulu pouvoir y dormir, car la nuit, quand s’éloignent les humains et leurs bavardages, l’âme des lieux, la mémoire des choses deviennent sensibles à qui sait les écouter. En même temps que le parfum du passé m’enivrait doucement, cette abbaye conservait à un degré supérieur la présence de celui que j’allais retrouver bientôt. C’était peu avant ce voyage en Orient qui allait m’éblouir et me rendre la vue , la vraie conscience.

extrait du livre VIVANT